Pour une meilleure vision nocturne, consommez des bleuets!
(texte publié dans le QFQ novembre 2012)
Par Philippe Lavalette CSC
À partir d’un texte de Claude Gagnon, biologiste.
Avant la caméra, il y a l’œil, notre principal outil de travail. C’est un outil fragile et très performant puisqu’il peut capter des lumières très fortes aussi bien que des lumières très faibles. Sa latitude n’a pas d’équivalent. Entre le soleil de midi et la nuit obscure, l’œil «voit» comme aucun instrument n’est capable de le faire ! Mais comment peut-il «voir» par une nuit sans lune ? Après environ 50 minutes d’adaptation à la noirceur, pour un organisme en bonne condition physique, l’œil est capable de distinguer la lueur d’une bougie à plus de dix kilomètres ! À quoi tient ce prodige d’adaptation? À un mécanisme photochimique assez complexe que l’on résume par le terme de «vision scotopique» et dans lequel le bleuet joue un rôle…
Que nos cantiniers se le tiennent pour dit !
En l’an 1943, le Monde bascule. La guerre fait rage et la victoire des Alliés sur la tyrannie nazie commence à être plausible. On dit que la consommation des bleuets – et de leurs cousins européens : les myrtilles – y seraient pour quelque chose !
Claude Gagnon :
«Les pilotes de guerre de l’aviation britannique (la fameuse Royal Air Force) auraient consommé régulièrement la confiture de cette petite baie bleu foncé dans le but d’augmenter leur vision nocturne. Certains esprits chagrins ont nié le bien-fondé de cet usage en évoquant une propagande d’occultation des radars utilisés par l’aviation anglaise, et pourtant, la pulpe de la myrtille et du bleuet contient bel et bien une substance favorisant la production du pigment responsable de l’adaptation de l’œil dans l’obscurité.
On comprend l’importance de la vision nocturne dans le combat : si la vision nocturne est défavorisée par une acuité visuelle quasi nulle et une absence de perception des couleurs, elle supplante la vision diurne sur un point : l’accroissement de la sensibilité lumineuse de la rétine permet de localiser des sources lumineuses extrêmement faibles, invisibles le jour, comme la flamme d’une bougie à une distance de 10 kilomètres. Mais cette sensibilité extrême, uniquement acquise après un long temps d’adaptation, demeure très fragile. Un éblouissement suffit à l’abolir immédiatement. Optimiser la sensibilité de la rétine devient donc une véritable arme défensive parfaitement logique dans la nuit parsemée d’avions ennemis lointains».
Petit rappel
Notre rétine est une très fine membrane de 300 microns d’épaisseur, tissée d’une infinité de cellules photosensibles reliées au cerveau par le nerf optique. Ces photorécepteurs convertissent le stimulus lumineux en un influx nerveux. Ces cellules sont de deux types : les cônes (6 millions !) qui réagissent aux couleurs et aux fortes intensités, et les bâtonnets (130 millions !), très sensibles aux basses lumières mais incapables de distinguer les couleurs. Que se passe-t-il dans la quasi-obscurité ? Les quelques rares photons de lumière qui atteignent les bâtonnets viennent modifier la rhodopsine, appelée aussi pourpre rétinien. En se décomposant, cette molécule complexe va émettre un flux d’énergie qui sera transmis au cerveau et lui permettra de «reconstruire» l’image imprimée sur la rétine. À noter que ces mêmes bâtonnets sont répartis essentiellement à la périphérie de la rétine. En basse lumière, on voit donc mieux de côté que de face ! Avis aux amateurs d’étoiles filantes !
Le pourpre rétinien ou rhodopsine
Le pourpre rétinien nous permet donc de distinguer des images à de très faibles lumières, à condition que le temps d’adaptation soit suffisamment long et qu’il n’y ait pas d’éblouissements pendant cette période. Il se décompose sous l’effet de la lumière en un dérivé organique nommé carotène. Chaque photon va modifier la constitution du pourpre rétinien. Pendant notre sommeil, le pourpre rétinien va se reconstituer. Et c’est là que le bleuet va jouer un rôle majeur puisqu’il est porteur du pigment qui lui permettra de se régénérer! Car le volume consommable de pourpre rétinien n’est pas illimité. Le «stock» possible est consommé dans la journée sous l’effet de la lumière et il ne peut se reconstituer totalement que pendant le sommeil. Ainsi, le carotène du bleuet permettrait une plus rapide adaptation de l’œil dans l’obscurité en accélérant ce processus d’adaptation.
Claude Gagnon :
«La vision nocturne s’améliore progressivement au fur et à mesure que le stock de rhodopsine se reconstitue et que la sensibilité de la rétine augmente; elle est totalement performante quand le stock est entièrement reformé.
Par ailleurs, la puissance réparatrice du bleuet ou de la myrtille est non négligeable puisque, comme antioxydants, ils arrivent bon premiers sur 39 fruits et légumes courants, 50 % de plus que les fraises, 125 % de plus que l’orange et 250 % plus que les épinards ! On parle d’un puissant effet du pigment qui agirait sur le pourpre rétinien en aussi peu de temps que vingt minutes après l’absorption. On imagine nos aviateurs britanniques manger leur confiture juste avant de partir pour leur combat dans le ciel de leur nuit…
Usages thérapeutiques multiples
Les usages thérapeutiques de la myrtille et du bleuet sont multiples et certains de ces usages se perdent dans la nuit des temps. On a toujours utilisé les baies de myrtilles séchées contre la diarrhée et contre l’inflammation des muqueuses de la bouche et de la gorge. Depuis quelques décennies on connaît les bienfaits des baies de myrtilles et de bleuets sur la circulation sanguine : « des essais en laboratoire indiquent que les extraits de bleuet renforcent les capillaires et améliorent les fonctions contractiles des vaisseaux ». Par ailleurs, des recherches récentes tendent à montrer un effet bénéfique de ces mêmes baies sur le taux de glucose sanguin des diabétiques de même que sur les pertes de mémoire. Décidément, le pigment antioxydant de la myrtille eurasienne et de son cousin le bleuet nord-américain surprend de jour en jour par la grande polyvalence de sa vertu dans ce qu’on appelle désormais « l’alimentation thérapeutique ».
La vision à long terme
La vertu de la myrtille et du bleuet sur l’adaptation de l’œil à l’obscurité n’est pas seulement ponctuelle. Il semble que le pigment propre à cette airelle puisse être bénéfique à long terme; il contribuerait à prévenir la dégénérescence de la macula (zone où se concentre le maximum de cônes et donc zone d’acuité extrême) de même que l’apparition des cataractes. Voilà pourquoi il devrait entrer nécessairement dans la composition des produits de qualité prescrits pour prévenir la dégénérescence de la vision.
Qui avait dit aux aviateurs britanniques de la Seconde Guerre mondiale que la confiture de myrtilles améliorait leur vision nocturne et diminuait aussi les effets de l’éblouissement en facilitant l’ajustement de la pupille à la lumière intense ? Quelqu’un qui connaissait tout simplement l’existence de la rhodopsine à une époque où l’on ignorait encore le travail des antioxydants sur l’usure et le vieillissement.
Les myrtilles et les bleuets sont désormais présents dans les innombrables formules nutritionnelles toniques; leur puissance antioxydante est reconnue même chez les consommateurs. Mais ceux-ci ignorent peut-être que la digestion, la circulation sanguine, le taux de glucose, et même la mémoire, seraient en partie régulés par ces petits « fruits de la vue », ainsi qu’on les nomme au Japon.
Bleuets et myrtilles sont bleu foncé comme la nuit qu’ils combattent à mesure que l’Âge avance vers le Soir !»
Souhaitons donc que le bleuet, sous toutes ses formes possibles, envahisse nos crafts, en confiture, en tartes, en gâteau ou même en sirop !
Remerciements : Émilio Gozzi et Yorgos Giannelis
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