FRANÇOIS BARBEAU, Créateur de costumes
Un entretien réalisé par Philippe Lavalette CSC
article publié dans le QFQ (Octobre 2013)
«La gang des hors-la-loi» est le 24ème «conte pour tous» de la fameuse série initiée par Rock Demers. Le film, confié initialement à André Melançon, est réalisé par Jean Beaudry, produit par Rock Demers et Chantal Lafleur (Productions La Fête) avec leurs associés du Nouveau-Brunswick : Clarence Leblanc et François Savoie (Connections productions).
La conception des costumes a été confiée à François Barbeau qui passe allègrement du théâtre au cinéma ainsi qu’il nous l’explique dans l’entretien qui suit…
Quand vous recevez un scénario ou un texte de théâtre, êtes-vous déjà attentif aux costumes en devenir ?
Oui. Dès la première lecture, je vois le film ou la pièce se dérouler. L’imaginaire
se met en place, les costumes se dessinent avec leurs couleurs et leurs textures et je dessine assez vite les premières esquisses même si le financement est encore loin d’être sûr ! Je gagne comme ça beaucoup de temps. De cette façon, pouvant montrer mes esquisses préliminaires au réalisateur et s’il accepte ce que je lui propose, nous pouvons discuter des personnages et les faire évoluer en gardant toujours en mémoire « qui » va les porter. Mais la partie vraiment créative se joue au moment de l’essayage. Là, c’est comme de la sculpture. Je change un vêtement, je joue avec la silhouette et la gestuelle de la personne qui est en face de moi et c’est un réel plaisir dont je ne me lasse pas ! C’est avec Louis Malle, sur «Atlantic city» que j’ai développé cette méthode. Il était très attentif à mon travail. Il m’appelait constamment au téléphone, je croyais que c’était un canular ! Il ne voulait surtout pas voir de dessins, disant avoir été trop déçu par le résultat sur le plateau. Nous avons passé ensemble plus de dix jours à parler de costumes et il a été présent – de façon exclusive – au moment crucial de l’essayage avec les acteurs. Pour moi, l’essentiel se joue là et tant mieux si le réalisateur est avec moi. C’est ce que nous faisons actuellement avec Jean Beaudry à qui je propose toujours plusieurs choix pour chaque personnage. Mais ça arrive aussi qu’on me demande crûment : «Give me tits and ass»… C’est aussi la réalité du métier et, mine de rien, ça exige beaucoup de travail !
En quoi le budget influence-t-il votre travail ?
Quand le budget est mince, je chine, je fouille, je récupère et je finis par trouver des solutions. Là, sur «La gang des hors-la-loi » que nous tournons au Nouveau-Brunswick, je compose avec les «Guy’s Frenchys » qui ressemble un peu au «Village des valeurs» qu’on trouve à Montréal. Tous les vêtements que je choisis ont une Histoire parce qu’ils ont été portés. Par qui ? Je n’en sais rien mais ils ont une âme et ça se voit à l’écran ! Et je m’amuse autant qu’en créant, par exemple, les costumes de «Christine, la reine-garçon » monté au TNM par Denoncourt !
J’ai travaillé à la Comédie-Française («Les estivants» de Gorki monté par Jacques Lasalle). Ils ont des ateliers établis en permanence et je pouvais demander ce que je voulais … Je ne m’en suis pas privé! J’avais conçu des robes en voile de coton toutes incrustées de dentelle… Il y a des couturières qui pouvaient travailler deux ou trois mois sur la même robe ! Pour eux, c’était normal… J’ai signé les costumes de «Nouvelle France » où il a fallu vraiment créer des robes d’époque au plus près de la réalité, en trouvant idéalement les mêmes tissus, ce qui n’est pas toujours évident car certains ont disparu. Heureusement, j’ai pas mal d’accointances du côté de la rue St Hubert, au marché de tissus. L’un de mes fournisseurs ne rate pas un seul défilé de Haute Couture ! Pour «Nouvelle France», une seule robe pouvait se rapprocher du budget du film que je fais maintenant. «So what ?» comme dit un des personnages du film. L’argent… On s’arrange toujours avec. Prenons par exemple le personnage de Jérémie joué par Guy Thauvette… Il joue le grand-père. C’est un marin pêcheur qui a basculé dans l’alcool après avoir perdu son fils en haute mer. J’avais fait une série d’esquisses. Comment je le voyais et sur place, au Nouveau-Brunswick, j’ai demandé à l’habilleuse (Nicole Gallant) de m’envoyer des prototypes d’Acadiens entre 50 et 60 ans. Elle nous a envoyé des photos magnifiques. Elle est allée dans les friperies et elle les a photographié sur place. Avec Louisanne Lamarre, mon assistante, ça s’est construit ensuite facilement. Guy Thauvette, après l’essayage, m’a fait le plus beau des compliments en disant que je lui avais apporté son personnage !
Quelles sont vos inspirations ?
J’ai énormément d’admiration pour Piero Tosi, le créateur des costumes des films de Visconti à tel point que j’ai préféré ne pas le rencontrer quand j’étais à Rome. Je craignais de détruire le mythe ! Sinon, je vois beaucoup de films. Au moins un film par jour en moyenne. Je connais bien le cinéma italien. J’aime aussi beaucoup le cinéma irlandais, en particulier pour le jeu des acteurs. Savez-vous qu’il y a une version irlandaise de «la guerre des boutons» ? Elle est très bonne ! Et je regarde aussi beaucoup de films français. Mes préférés sont ceux des années 30 et 40.